English follows
Cette semaine nous vous raconterons l’histoire du cas de sorcellerie le plus célèbre de la Nouvelle-France. Nous verrons que, si le clergé balaye du revers de la main la plupart des accusations de sorcellerie, il atteint parfois sa limite et laisse la Justice profane prendre le relais. Il faut cependant se rappeler qu’il n’existait pas de véritable séparation de l’Église et du pouvoir à cette époque, alors le clergé était tout de même bien servi.
Notre histoire commence dans la ville de Montréal, en 1742, par le vol substantiel de 300 livres au cordonnier Robidoux. Celui-ci prend tous les moyens réguliers pour récupérer son argent, mais le coupable reste introuvable.
Devant cette impasse, Robidoux demanda alors de l’aide à un certain François-Charles Havard de Beaufort, dit l’avocat, qui avait la réputation d’être un peu sorcier. Beaufort est un homme instruit, il a une belle calligraphie et il plaide parfois au tribunal pour ceux qui ne sont pas capables de s’exprimer comme il se doit devant la Justice.
Beaufort accepte d’aider Robidoux et, contre un paiement de vingt livres, il lui dit qu’il fera apparaître le visage du coupable dans un miroir. Évidemment, le mot se passe dans la ville et à 20h, l’heure convenue, une foule de curieux s’est amassée devant la demeure du cordonnier où aura lieu le rituel.
Beaufort commence son rituel. Il a devant lui une serviette, un flacon, un jeu de cartes, deux chandeliers avec leurs chandelles, une chandelle supplémentaire, trois paquets de poudre (un noir, un blanc et un jaune) ainsi, évidemment qu’un miroir. Il commence à créer une « huile d’aspic » en mélangeant de l’arcanson pilé et de la poudre à tirer dans de l’huile d’olive. Il place les deux chandeliers de part et d’autre du miroir et les allume. Un dénommé Lanoue lui amène un livre intitulé « Verba Jesu Christie, ex Evangelis Matth, Marc, Luc, Joan » et Beaufort en marmonne quelques vers.
Rien ne se passe, le miroir reste muet. Lanoue encore, amène un crucifix à Beaufort. Celui-ci s’en saisit et il enduit les quatre coins avec l’huile d’aspic, il prend un couteau pour mieux étendre l’huile. Ensuite, il place le crucifix sur le miroir. Pendant cette cérémonie, il éteint et rallume les bougies plusieurs fois. Il fait sécher les bouts de la croix dans la flamme de la bougie en plus d’utiliser le crucifix pour faire trois raies sur le linteau de la cheminée. Il dépose une pincée de poudre dans trois morceaux de papier qu’il enroule ensuite séparément. Il fait brûler chacun de ses papiers et, à chaque fois, il répand les cendres en arrière du miroir. Il reprend le livre et après chaque verset, il jette une pincée de poudre derrière le miroir. Le rituel dure près d’une heure, mais jamais de visage n’apparaît dans le miroir.
Quelque temps après cette démonstration, Beaufort est arrêté sous des charges « d’avoir fait le devin et des pronostications défendues par les ordres de nos Roy et d’avoir profané dans ses opérations un crucifix ». Cette question de la profanation du crucifix est centrale dans le procès. Il semble même que si Beaufort avait fait abstraction de cette profanation, il n’aurait peut-être pas été arrêté. À tout le moins, sa sentence aurait été bien moindre. Si Beaufort est rendu coupable d’avoir utilisé un crucifix dans son rituel, il sera reconnu coupable de sacrilège, un crime très grave.
Beaufort sait très bien que le nœud de son cas est ce crucifix. Il vasouille que le crucifix a été utilisé pour impressionner la foule plutôt que pour faire de la magie. Il dit qu’il voulait intimider le coupable et le forcer à se dénoncer plutôt que d’insulter sa religion. Il indique que tout l’événement était plutôt une farce qu’une séance de magie, mais ce faisant, il avoue aussi que ce n’est pas la première fois qu’il fait ce genre de « tour ».
Lanoue, qui a amené le crucifix est aussi accusé, ainsi que Robidoux qui a « prêté sa demeure à de telles profanations ».
La sentence des trois comparses est proportionnelle à leur degré de participation.
Après leurs appels, Beaufort sera condamné à trois ans de travaux forcés aux galères du Roi. Il sera aussi condamné à « faire amende honorable, nu en chemise, la corde autour du cou en tenant dans ses mains une torche de cire du poids de deux livres. Cette amende honorable devra se faire devant la porte de l’église paroissiale, un jour de marché. Il sera conduit par l’exécuteur de la Haute Justice. Il portera derrière et devant un écriteau portant les mots « profanateur de choses saintes ». Il devra alors dire, nu-tête et à genoux, qu’il a témérairement et imprudemment profané les paroles de Notre Seigneur Jésus Christ contenu dans le livre joint au procès ainsi que la représentation et image de Jésus Christ crucifié pour vouloir donner plus de poids à ses divinations et pronostications prohibées par les lois divines et humaines dont il se repent et demande pardon à Dieu, au Roi et à la Justice ». Après avoir fait amende honorable, il sera « battu et fustigé de verge par les carrefours et lieux accoutumés de la Haute et Basse Ville de Montréal ».
Lanoue quant à lui sera banni de Montréal pour trois ans, devra verser trois livres d’amende envers le Roi et devra assister à l’amende honorable « nu en chemise et à genoux ». Cependant, il sera conduit par les archers de la maréchaussée et non par l’exécuteur.
Finalement Robidoux sera aussi banni de Montréal pour trois ans, il devra payer trois livres d’aumônes applicables au pain des prisonniers et se « faire admonester en la Chambre d’audience ».
Notre histoire pourrait se terminer là, mais qu’en est-il de ce pauvre crucifix? Lors des procédures en justice, Mgr de Pontbriand montre le crucifix à l’évêque de Montréal. Ce dernier, grandement touché par les sévices qu’a dû endurer ce pauvre crucifix, décide que des prières publiques sont nécessaires pour réparer cet outrage. Les fidèles de Montréal devront alors faire « amende honorable, après avoir défilé en procession, de l’Église Notre-Dame à la chapelle de Bonsecours ». C’est-à-dire que la ville au complet devra payer pour les actions de Beaufort.
On cherche par la suite un endroit où sera gardé ce crucifix et sur lequel on fera plusieurs prières pour réparer la profanation dont il a été victime. Cet honneur revient aux Hospitalières de Québec qui doivent «le placer dans leur église particulière et choisir un jour de la semaine pour en faire l’adoration, précédée d’une communion générale ». Encore aujourd’hui, le crucifix reste un objet de grande vénération chez les Hospitalières et on célèbre une messe en son honneur le premier vendredi du mois d’octobre. 280 ans plus tard, l’affront n’est toujours pas réparé.
Pour une image du crucifix, veuillez suivre ce lien.
P.S : le rituel expliqué au début de cet article peut encore être utilisé aujourd’hui, mais nous décourageons fortement l’utilisation de poudre à tirer dans vos activités magiques.
The offended crucifix
This week we will tell you the story of the most famous sorcellerie case of New France. We will see that, if the clergy swept aside most accusations of sorcellerie, sometimes this reached a limit and let the profane justice take over. However, we must remember that there was no real separation of church and state at that time, so the clergy was still well served.
Our story begins in the city of Montreal, in 1742, with the substantial theft of 300 pounds from a cobbler named Robidoux. He undertook all the regular means to get his money back, but the culprit remained untraceable.
Faced with this impasse, Robidoux asked for help from a certain François-Charles Havard de Beaufort, known as “the lawyer”, who had the reputation of being a bit of a Sorcier. Beaufort was an educated man, had a beautiful penmanship and sometimes pleaded in court for those who were not able to express themselves properly before the law.
Beaufort agrees to help Robidoux and, for a payment of twenty pounds, tells him that he will make the guilty man’s face appear in a mirror. Of course, word gets out in the city and at 8:00 p.m., the agreed upon time, a crowd of onlookers gathered in front of the cobbler’s house where the ritual will take place.
Beaufort so began his ritual. Before him was a towel, a bottle, a deck of cards, two candlesticks with their candles, an extra candle, three packets of powder (one black, one white and one yellow) and, of course, a mirror. He started making an « oil of aspic » by mixing crushed rosin and gunpowder (black powder) in olive oil. He places the two candlesticks on either side of the mirror and lights them. A man named Lanoue brought him a book entitled « Verba Jesu Christie, ex Evangelis Matth, Marc, Luc, Joan » and Beaufort mumbled some verses.
Nothing happens, the mirror remains mute. Lanoue again brought a crucifix to Beaufort. He seizes it and he smears the four corners with the oil of aspic, he takes a knife to better spread the oil. Then he places the crucifix on the mirror. During this ceremony, he extinguishes and relights the candles several times. He dries the ends of the cross in the candle flame and uses the crucifix to make three stripes on the lintel of the fireplace. He puts a pinch of powder in three pieces of paper and rolls them up separately. He burns each piece of paper and, each time, he spreads the ashes behind the mirror. He takes the book again and after each verse, he throws a pinch of powder behind the mirror. The ritual lasts for nearly an hour, but no face ever appears in the mirror.
Some time after this demonstration, Beaufort was arrested on charges of « having made soothsayings and prognostications forbidden by the orders of our King and of having profaned in his operations a crucifix ». This question of the profanation of the crucifix is central in the trial. It even seems that if Beaufort had ignored this desecration, he might not have been arrested. At the very least, his sentence would have been much less. If Beaufort is found guilty of using a crucifix in his ritual, he will be found guilty of sacrilege, a very serious crime.
Beaufort knows very well that the crux of his case is the crucifix. He is confident that the crucifix was used to impress the crowd rather than to perform magic. He says that he wanted to intimidate the culprit and force him to denounce himself rather than insult his religion. He says the whole event was more of a prank than a séance, but in doing so, he also admits that this is not the first time he has done this kind of « magic trick. »
Lanoue, who had brought the crucifix, was also accused, as well as Robidoux who had « lent his home to such profanations ».
The sentence of the three companions was proportional to their degree of participation.
After their appeals, Beaufort was condemned to three years of hard labor on the King’s galleys. He was also condemned to « make honorable amends, naked in a shirt, with a rope around his neck, holding in his hands a wax torch weighing two pounds. This honorable amends will have to be made in front of the door of the parish church, on a market day. He will be led by the executor of High Justice. He will carry behind and in front of himself a sign bearing the words « desecrator of holy things ». He will then have to say, naked and on his knees, that he has recklessly and imprudently profaned the words of Our Lord Jesus Christ contained in the book attached to the trial as well as the representation and image of Jesus Christ crucified to want to give more weight to his divinations and prognostications prohibited by the divine and human laws for which he repents and asks forgiveness to God, the King and Justice. After having made honorable amends, he will be « beaten and castigated with rods by the crossroads and usual places of the Upper and Lower Town of Montreal« .
As for Lanoue, he will be banished from Montreal for three years, will have to pay a three pounds fine to the King and will have to face the honorable fine « naked in a shirt and on his knees ». However, he will be led by the archers of the marshalcy and not by the executor.
Finally, Robidoux was also banished from Montreal for three years, he had to pay three pounds in alms for the bread of the prisoners, and he had to be « admonished in the audience chamber ».
Our story could end there, but what about this poor crucifix? During the legal proceedings, Mgr de Pontbriand showed the crucifix to the bishop of Montreal. The latter, greatly touched by the abuse that this poor crucifix had to endure, decided that public prayers were necessary to repair this outrage. The faithful of Montreal would then have to make « amends, after having marched in procession from Notre-Dame Church to the Bonsecours Chapel ». In other words, the entire city had to pay for Beaufort’s actions.
A place was then sought where the crucifix would be kept and over which several prayers would be said to repair the desecration of which it had been a victim. This honor was given to the Hospitallers of Quebec who were to “place it in their particular church and choose a day of the week for its adoration, preceded by a general communion”. Even today, the crucifix remains an object of great veneration among the Hospitallers and a mass is celebrated in its honor on the first Friday of October. 280 years later, the affront is still not repaired.
For an image of the crucifix, please follow this link.
P.S.: The ritual explained at the beginning of this article can still be used today, but we strongly discourage the use of gunpowder in your magical activities.
Bibliographie
SÉGUIN, Robert-Lionel. La sorcellerie au Canada Français du XVII et XIX siècle. 1 ière
édition. Montréal : Librairie Ducharme, 1961, 191 p.
Courir le loup-garou 
Votre commentaire