Le bleu

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Partie 4 : Le Bleu

Nous poursuivons notre exploration du pouvoir de certaines couleurs dans le monde magique de la sorcellerie canadienne-française. Précédemment, pour rafraîchir votre mémoire, nous avons abordé les couleurs noir, blanc et rouge. Dans le monde hautement chromatique des Canadiens français, certaines couleurs semblent s’imposer à nous. Si nous avons les yeux pour voir et le cœur pour ressentir, bien souvent ces couleurs parlent d’elles-mêmes.

Quand nous avons parlé du noir, nous avons appris qu’il symbolise le mystère, la puissance magique, l’inconnu, la transformation (comme le chien noir). Le blanc nous a révélé son pouvoir de protection, de révélation et de transgression. Quant au rouge… nous avons vu qu’il guérit, qu’il apporte vitalité et fertilité (ou au contraire l’inhibe), et qu’il peut évoquer la violence et l’amour à parts égales. Alors, qu’en est-il du pouvoir du bleu ?

Le bleu est rarement présent dans nos récits ou dans nos remèdes populaires, mais cela ne signifie pas qu’il faille l’écarter. Peut-être est-ce justement là sa force tranquille. Là où le rouge est viscéral, le blanc éclaire et le noir engloutit… le bleu incarne le liminal, l’entre-deux.

Pour illustrer cela, regardons le conte Les Trois Rechanges. C’est un conte important car il montre clairement l’interaction qu’ont certaines couleurs dans le parcours du héros. Il est difficile d’apprécier pleinement la puissance du bleu sans l’encadrement du blanc et du rouge. Mais puisque nous avons déjà parlé du rouge et du blanc, nous ne nous y attarderons pas davantage. Nous nous concentrerons entièrement sur le bleu.

Au début du conte, Tit-Jean vit dans une grande misère et est négligé. Il est maltraité par tous les membres de sa famille : frères, sœurs et même ses parents. Non seulement est-il méprisé, mais il subit aussi des violences physiques et de durs traitements, ce qui le pousse à quitter la maison pour chercher une vie meilleure. Comme dans la plupart des contes canadiens-français, le héros est insatisfait de sa condition présente et – tel Cendrillon – il s’évade dans un monde d’aventures surnaturelles… jusque-là, rien de plus typique dans le folklore canadien-français !

Assis au bord du chemin, mangeant sa dernière bouchée de nourriture, Tit-Jean rencontre la Fée Puissance. Elle lui explique qu’elle sait qu’il est un homme brave et bon, et que c’est précisément pour cette raison qu’il est nécessaire qu’il vainque le monstre Dégoutant. Elle lui offre trois rechanges de vêtements : un blanc, un bleu et un rouge. Elle lui donne également trois chevaux et trois chiens des mêmes couleurs. Cette fée peut être vue comme « l’initiatrice du parcours héroïque ».

Dégoutant, quant à lui, est aidé par une autre fée, la sœur de Puissance, la Fée Furie. Elle représente la force opposée, car elle a conféré au monstre son pouvoir destructeur, notamment la force létale de sa queue. Lorsque Tit-Jean triomphe de la bête, Puissance explique que Furie, voyant que sa créature était blessée encore et encore, vola l’habit magique pendant le sommeil du héros.

L’ordre des couleurs dans le récit est intriguant : pourquoi d’abord le blanc, puis le bleu, et enfin le rouge ? Peut-être que le conteur n’avait pas de raison consciente pour cette succession, mais nous pensons qu’il y a là un sens subconscient bien réel. Cette signification se révèlera à la conclusion de ce texte.

Tit-Jean combat le monstre trois jours de suite, en portant chaque fois un vêtement enchanté différent, accompagné du cheval et du chien assortis. Le premier jour, vêtu de blanc, il attaque avec audace et tranche une partie de la queue du monstre, le blessant mais lui laissant la vie sauve. Le deuxième jour, vêtu de bleu, il recommence et raccourcit encore la queue, affaiblissant la créature, mais lui accordant à nouveau un sursis. Le troisième jour, vêtu de rouge, Tit-Jean et son chien portent le coup décisif : le monstre, épuisé par ses blessures, ne peut résister et Tit-Jean lui assène le coup final, le tuant et sauvant la princesse. À chaque combat, la violence s’intensifie, et Tit-Jean prouve non seulement son courage mais aussi sa capacité à endurer et à ruser, jusqu’à vaincre la bête.

Dans le folklore et la tradition orale – comme dans les contes – les couleurs n’apparaissent que rarement par hasard. Dans Les Trois Rechanges, le bleu est encadré par le blanc (le début du combat) et le rouge (le climax), ce qui lui confère un rôle de médiation et de transition.

  • Le blanc vient en premier – il symbolise la pureté, l’innocence et le début de la quête. Tit-Jean, encore non éprouvé, entre dans le combat avec espoir et candeur. Le blanc est la couleur de « l’initiation ».
  • Le rouge vient en dernier – il incarne le sang, la passion, le sacrifice et la victoire. C’est la couleur de la violence et de la résolution, le moment décisif où le monstre est abattu et l’ordre rétabli. Le rouge est la couleur de la « délivrance ».

Le bleu, placé entre les deux, fait le lien : il tempère la naïveté ou l’innocence du blanc (le « Novice ») par une certaine expérience, mais il ne libère pas encore l’ultime force du rouge (le « Héros »). Dans ce récit, la phase bleue illustre la croissance de Tit-Jean : il a déjà connu le sang du combat une première fois et revient avec une certaine expérience, plus réfléchi. Il a franchi sa première épreuve, mais il n’est pas encore prêt pour l’ultime affrontement.

En d’autres termes, le bleu est le seuil nécessaire. Combien de temps dure ce seuil ? Nul ne le sait. Tit-Jean a laissé derrière lui l’innocence du premier jour mais n’a pas encore atteint la violence consommée du troisième. Le bleu, situé entre le blanc et le rouge, représente l’espace de la persévérance et de la maîtrise, le terrain d’épreuve qui permet l’évolution du novice en véritable héros.

En conclusion, dans la gamme des thématiques colorées canadiennes-françaises, le bleu est l’éternel « Intermédiaire ». Là où le blanc et le noir peuvent être deux faces d’une même médaille et où le rouge peut avoir deux visages distincts (violence/mort vs amour/vitalité), le bleu se situe entre toutes les autres sans dimension unique qui lui soit propre. L’étape bleue peut être brève et douce ou… interminablement longue. Souvent, le choix ne nous appartient pas.


Part 4: Blue

We continue our look at the power of certain colours within the magical world of French Canadian Sorcellerie. Previously, just to jog your memory, we touched on the colours black, white and red. In the highly chromatic world of French Canadians, some colours tend to shout their presence to us. If we have the eyes to see and the heart to feel, oftentimes these colours speak for themselves. When we spoke of black, we learned that black indicates mystery, magical potency, the unknown, transformation (such as the black dog). White revealed to us its power to protect, reveal and transgress. As for red… we saw how it heals, provides vitality and how it can grant (or inhibit) fertility and at times invokes violence and love in equal measure. Now, what of the power of blue?

Blue is rarely found in our stories or folk remedies, but we should not discount it on that fact alone. Perhaps that is what gives it its quiet strength. Where red is visceral, white shines light and black engulfs… blue epitomises the liminal.

To illustrate this, we will look at the contes Les Trois Rechanges (The Three Changes of Clothing). It is an important conte as it really shows the interplay of certain colours in the hero’s journey. It is truly difficult to fully appreciate the power of blue without the bookends of white and red. But, we already talked about red and white, so we will not be delving much further into those. The focus is squarely on blue. 

At the beginning of the conte, Tit-Jean is in a state of deep hardship and neglect. He is mistreated by everyone in his household. His brothers, sisters, and even his parents treat him very poorly. He is not only shown disrespect, but also suffers physical abuse and harsh treatment, which ultimately compels him to leave home and seek a better life on his own. This is not unlike most other French Canadian folktales, the hero is unsatisfied with their present condition and – like Cinderella – they escape into a world of supernatural adventure… so far, so French Canadian lol.

Tit-Jean, then sitting on the roadside, eating his last morsel of food, is come upon by la Fée Puissance (The Fée of Power). She explains to him how she knows he is a brave and good man and, that is exactly why he is needed to defeat the monster Dégoutant (Disgusting). She gives his three changes of clothing, a white one, a blue one and a red one. She also gives him three horses and three dogs of the same colour. This fée can be seen as the « initiator of the heroic journey”.

Dégoutant is also aided by a fée, the sister of Puissance, known as la Fée Furie (The Fée of Fury). She is the opposite force, as she had actually granted the monster its destructive power, especially the lethal force of its tail. When Tit-Jean defeats the beast, Puissance later explains that Furie, realizing her creature was being wounded again and again, stole the magical outfit while Tit-Jean slept.

It is interesting how the colours are ordered in the storyteller’s narrative. Why white, then blue and finally red? Perhaps the conteur didn’t have a conscious reason for this ordering, but we believe there was a very real subconscious reason. This meaning will be born out at the conclusion of this post.

Tit-Jean fights the monster over three consecutive days, each time donning a different enchanted outfit with a matching horse and dog. On the first day, in white, he boldly charges and severs part of the monster’s tail, wounding it but sparing its life. The second day, in blue, he repeats the pattern, cutting the tail shorter still, leaving the monster weaker yet again granting it mercy. On the third day, in red, Tit-Jean and his dog strike decisively; the monster, drained from its wounds, cannot withstand the assault, and Tit-Jean delivers the final blow, ensuring its death. Each battle grows fiercer, with Tit-Jean proving not only his courage but his ability to endure and outwit the beast, in the end saving the princess. 

Because in folklore and traditional storytelling – such as contes – colours rarely appear by accident. In Les Trois Rechanges, the use of blue is framed between white (the beginning of battle) and red (the climax of battle), giving it a mediating and transitional role.

  • White comes first – it symbolizes purity, innocence, and the start of the quest. Tit-Jean, still unproven, enters the fight clean and hopeful. White is the colour of his “initiation”.
  • Red comes last – it embodies blood, passion, sacrifice, and victory. This is the colour of violence and resolution, the decisive moment when the monster is slain and order is restored. Red is the colour of “release”.

Blue, placed between them, acts as the bridge – it tempers the naivety or innocence of white (the “Novice”) with a measure of experience, but it doesn’t yet unleash the “final release” of red (the “Hero”). In this story, the blue phase shows Tit-Jean’s growth,  he has been blooded in battle once, and now returns with “some” experience, and so is more strategic-minded. He has passed his initial first test, but he is not yet ready for the finals.

In other words, blue is the necessary threshold. How long is that threshold? Who knows. Tit-Jean has left behind the innocence of the first day but has not yet reached the violent consummation of the third. Blue, sitting between white and red, represents the space of perseverance and mastery, the testing ground that allows him to evolve from novice to true hero.

To conclude, in the gamut of French Canadian colour themes, blue is the perennially “Intermediate”. Where white and black can be two sides of the same coin and red can have two separate personas (violence/death vs love/vitality), blue between all others without a specific dimension. The blue step can be short and sweet or… impossibly long. Often the choice is not even ours to make. 


Bibliographie

Gustave Lanctot, ed., Contes populaires canadiens. Quatrième série, The Journal of American Folklore 36, no. 141 (July–September 1923): 267–271

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